Conflits d'intérêts. Quelques avancées mais toujours un grand danger
Si le dispositif juridique sur les conflits d'intérêts et la prise illégale d'intérêts évolue légèrement, la prudence reste de mise pour les élus. Dans la pratique, le déport reste la solution la plus sûre.
Le travail combiné de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur les obligations de déclarations d’intérêts et de patrimoine et des chambres régionales des comptes pointant les situations de conflits d’intérêts font prendre peu à peu conscience aux élus de ce risque. Sur le terrain, l’application des règles et recommandations ne sont pas toujours bien en phase avec les réalités opérationnelles. Selon certains présidents d’associations de maires, ce sujet «prendrait même de l’ampleur ».
Les condamnations d’élus pour prise illégale d’intérêts restent toutefois peu nombreuses. Selon l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative, seulement 158 élus ont été condamnés pour manquement au devoir de probité (champ plus large que la seule prise illégale d’intérêts), sur la mandature 2014-2020, soit un peu plus de 26 élus par an. Mais une simple mise en cause suffit à traumatiser un élu honnête.
Si bien que lors du 103e Congrès des maires, en novembre dernier, l’AMF a réclamé la réécriture de la loi sur le conflit d’intérêts et la prise illégale d’intérêts, dont l’application a été jugée «aberrante ». L’Association demandait à préciser les textes, «dans l’esprit » de ce que propose la HATVP. Celle-ci a en effet formulé quelques recommandations en ce sens dans son rapport annuel de juin 2021 (Maires de France n° 391, juin 2021, p. 16).
Message reçu a minima. La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire (article 15) supprime la prise en compte de «l’intérêt quelconque » de l’article 432-12 du Code pénal. Dorénavant, le délit devra être caractérisé par le fait pour un élu de prendre un intérêt «de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité ». Le projet de loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration, simplification), en cours de discussion parlementaire, devrait préciser les règles applicables aux élus locaux qui représentent leur collectivité ou groupement au sein d’organismes extérieurs (personne morale de droit public ou privé) : ils ne seront plus considérés de ce seul fait comme intéressés à l’affaire.
Mais attention, cette présomption ne s’appliquera qu’aux seuls cas où cette représentation de l’élu au sein de la structure est prévue par la loi : à savoir les entreprises publiques locales (EPL), les maisons de l’emploi, les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes. La liste des cas reste donc très restreinte. Les associations, où la représentation des élus est plutôt prévue par les statuts, ne sont pas concernées par ce dispositif.
Attention aux associations
Le nouvel arsenal législatif confirme que les élus ne doivent pas participer aux commissions d’appels d’offres ou d’attribution des concessions (DSP) lorsque la structure extérieure candidate, ainsi qu’aux délibérations relatives à leur désignation ou à leur rémunération au sein de la personne morale. Et les élus ne pourront pas assister aux délibérations attribuant une aide (entendue comme prêts, subventions rabais, avances remboursables, crédits-baux à la personne morale, garanties d’emprunt).
Pour les services de l’AMF, «cette rédaction [dans le projet de loi 3DS] conforte un cadre juridique plus sécurisé au regard des récentes interprétations de la HATVP, en harmonisant le droit administratif et le droit pénal. Cette rédaction a néanmoins pour effet d’inscrire dans la loi de nouvelles exceptions au principe général de protection en laissant une marge d’interprétation excessive au juge pénal ».
Dans les faits, cette nouvelle écriture du Code pénal comme du Code général des collectivités territoriales (CGCT) ne change «pas grand-chose » pour les élus sur les précautions qu’ils doivent continuer à prendre, insiste l’AMF ! Un sentiment partagé par l’avocat associé au cabinet Goutal, Alibert et associés, Samuel Dyens : «La prise illégale d’intérêts reste un délit d’apparence ! La plupart des cas qui auraient été condamnés avant la modification du Code pénal tomberaient sous le coup de la condamnation avec la nouvelle rédaction du texte. »
Son confrère Philippe Bluteau, avocat associé au cabinet Oppidum avocats, confirme : «Je crains que les juges ne changent rien à leurs pratiques. La nouvelle rédaction ne protège pas plus les élus. » Le projet de loi 3 DS «ne résout pas non plus le problème » pour les deux avocats car le texte, à l’heure où nous écrivons ces lignes, énumère précisément les cas dans lesquels les élus ne sont pas présumés être en situation de conflits d’intérêts (entreprises publiques locales, maisons de l’emploi, missions locales). Mais «s’agissant des associations, des groupements d’intérêts publics ou encore des coopératives loi 1948, les élus ne sont pas davantage protégés », prévient Philippe Bluteau. Samuel Dyens ajoute que le nouveau dispositif risque, au contraire, «de complexifier davantage le système, par exemple pour le vote des subventions ».
La prudence reste donc de mise dans les pratiques à suivre : «Un élu qui représente sa collectivité dans une association ne doit assister ni à une commission, ni aux débats, ni au vote, ni donner de procuration », rappelle Philippe Bluteau. La collectivité a aussi tout intérêt «à recenser toutes les structures où les élus la représentent, conseille Samuel Dyens, car ces situations présentent un risque de conflit d’intérêts. Ce diagnostic est à actualiser en permanence. Il doit y avoir une réelle collaboration entre les services et les élus pour que ces derniers aient une réelle feuille de route » dans la conduite à tenir.
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Cet article a été publié dans l'édition :
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